#VendrediLecture « La violence des riches »

Posted on ven. 09 décembre 2016 in Militer

– #VendrediLecture c'est ce hashtag utilisé sur les réseaux sociaux (en particulier Tw) pour parler de ses lectures.

Enfin je viens de regarder sur Clique.tv l'interview de Monique Pinçon-Charlot par Mouloud Archour dans le Gros Journal du 10 octobre 2016. Elle est l'une des auteurs de « La violence des riches ». L'occasion de parler de ce livre éclairant sur la haute-bourgeoisie, observée par deux sociologues qui l'étudient depuis 30 ans. Et comme Mouloud Archour, j'ai adoré ce livre.

L'ère du capitalisme financier

Découpé en six chapitres, ce voyage au cœur de la bourgeoisie est extrêmement instructif. Il commence par le dessus de l'iceberg, ce que nous percevons le plus et que nous dénonçons souvent. « Patrons spéculateurs et salariés jetables », ou comment les patrons en sont venus à spéculer plutôt que produire, à vendre leur entreprise familiale, fruit du travail de plusieurs générations de salariés, à des fonds de pension de pays où la retraitre est privatisée. Bref comment on est passé d'un capitalisme paternaliste à un capitalisme financier des plus violents. Les premières victimes en sont les salariés, ouvriers ou employés de ces entreprises dépecées.

Avec l'aide de subventions, de dispositifs d'exonération fiscale et des tribunaux de commerce pour faciliter les reprises, il devient facile pour des patrons-voyous de drainer de l'argent, notamment public. En témoigne le combat des Lenoir et Mernier, entreprise de métallurgie rachetée une bouchée de pain par Philippe Jarlot, celui que l'on nomme le « Bernard Tapie des Ardennes ». Ou encore l'entreprise de poulets Doux dont le propriétaire Charles Doux a mis en conccurence les sites français avec sa filiale brésilienne, pour finalement se placer en redressement judiciaire en 2012, et bénéficier de subventions faramineuses. Et ce ne sont pas les seuls exemples.

Justice de classe ?

La suite du voyage raconte la délinquance de col blanc, la fraude fiscale, la corruption, … Pendant que les politiques de tout bord et les journalistes qui les relaient larmoient sur la fraude sociale, et stigmatisent les bénéficiaires des allocations, c'est 60 à 80 milliards qui s'envolent chaque année vers les paradis fiscaux selon un rapport paru en janvier 2013. Pourtant cette délinquance sera très peu traitée dans les media par rapport aux autres types de délinquance. Sans compter le cynisme sans borne de ces délinquants.

Cette « délinquance des riches » ne sera pas jugée de la même façon non plus : les juges, avocats ou procureurs, ainsi que les édiles qui fabriquent les lois étant majoritairement issus de cette classe sociale. Pour un Cahuzac recevant une peine de prison, combien ne sont jamais inquiétés ? Les exemples de montages financiers pour échapper au fisc ne manquent pas, des luxleaks aux football leaks, en passant par les panama papers. Et curieusement, les pôles financiers des tribunaux n'ont pas assez de moyens pour lutter contre la fraude fiscale. Les repentis s'en tirent avec une petite remontrance, pendant que les délinquants en survêtement subissent des peines bien plus lourdes, notamment en comparution immédiate, que des ouvriers qui ont manifesté contre des plans sociaux se retrouvent devant les tribunaux, et que "la contestation sociale est diabolisée" par les media.

« Mon ennemi la finance », mais bien sûr…

Un chapitre entier est dédié aux réseaux de François Hollande, à « L’oligarchie dans la France de François Hollande ». Pour le précédent président, se référer au livre « Le président des riches ». Là on trouve les noms de "l'ennemi sans visage" qu'est la finance parmi les camarade de promo de François Hollande à l'ENA ou à HEC, et quelques autres nommés à des postes clé. Spéciale dédicace à Pierre Moscovisci, …. On découvre aussi que François Hollande est co-auteur en 1985 d'un livre promouvant le libéralisme et l'individualisme sous le titre « La gauche bouge ». La "révolution" de Emmanuel Macron ou de Mathieu Pigasse, également cités, n'est pas loin : Karl Marx me glisse dans l'oreillette que la bourgeoisie est en constante révolution, ça ne date donc pas d'hier.

Et c'est donc tout un parti qui prend ce virage néolibéral. On parle beaucoup du rôle joué par Margaret Thatcher et Ronald Reagan, mais ce chapitre remet les pendules à l'heure : les socialistes français sous François Mitterand n'ont pas chômé non plus pour ouvrir la voie au libéralisme, alliant la dérégulation pour les capitaux aux mesures d'austérité pour les citoyens.

Et puis sous l'ère Hollande, le super cadeau de 20 milliards d'euros, le Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi (CICE), offert aux entreprises sans même contrôler si cet argent servira à embaucher. C'est noël, mais pas pour tout le monde : les salaires des fonctionnaires sont gelés, le SMIC augmente à peine et la TVA augmente. Et on rajoute à ça deux lois qui taillent dans le vif du droit du travail.

Soumission volontaire

Qui sont-ils, quels sont leurs réseaux ? les français ne veulent hélas pas savoir. Les sociologues non plus d'ailleurs, et les Pinçons-Charlot qui sont presque les seuls à étudier cette classe sociale ne peuvent que le regretter. Mais pour eux une explication est qu'ils "en imposent" pas seulement par la richesse mais aussi par la culture qu'ils ont légitimée, délégitimant toutes les autres, par leurs codes vestimentaires et leur posture qui leur permet de se reconnaître entre eux. On peut nuancer cette vision par les études de pratiques culturelles faites en France tous les 7-8 ans, qui tendent à montrer que c'est plus l'« omnivorité », qui tient lieu de distinction aujourd'hui. N'empêche que la condescendance reste de mise vis à vis de la culture populaire.

La timidité que nous ne manquons pas d'éprouver en tentant d'évoluer dans leurs milieux nous en tient éloignés : « La domination [est] dans les têtes ». Qui va manifester dans le 16ème arrondissement de Paris ? Vous sentez-vous à votre place dans le hall d'un palace parisien ? Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon nous invitent à tenter l'expérience. Media et publicité achèvent de nous faire intégrer cette domination depuis notre plus jeune âge, tandis que dans le monde du travail les méthodes de management anciennes ou modernes fournissent les moyens de nous faire taire. À propos de méthodes de management c'est Danièle Linhart, sociologue du travail, qui en parle le mieux dans « la comédie humaine du travail » (un prochain vendredi lecture, promis).

La ville, reflet des inégalités

Le dernier chapitre fait une étape dans « la ville comme champ de bataille » de la lutte des classes : rien n'est plus flagrant que la distinction entre les beaux quartiers, aérés et propres et les quartiers populaires denses, mal entretenus, oubliés…

L'interview a lieu dans le 16^ème^, juste à côté du tout nouveau centre d'accueil pour sans-logis, cœur de toutes les tensions entre les classes : "la solidarité ok, mais pas chez nous alors" est en résumé le message d'un certain nombre d'habitants.

Pour aller plus loin :